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Manifs LGBT  *: de l’intime au public

Law Clinic (4/4) Exercer son droit de manifester et redouter de révéler son orientation sexuelle ou son identité de genre: la participation à des rassemblements publics peut être source d’inquiétude pour les personnes LGBT*, parfois confrontées à des réactions hostiles. Ces tensions questionnent la frontière privé-public et, partant, la légitimité des manifestations arc-en-ciel.
Manifs LGBT  *: de l’intime au public
Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie en 2017, dans le hall d’Uni Mail à Genève. DR
Law Clinic

Christopher Street. New York. 28 juin 1969. La police franchit les portes du bar gay le Stonewall Inn pour y effectuer une énième rafle. A la différence qu’en cette nuit devenue tristement célèbre, des centaines de personnes s’opposent à la descente policière, avec à leur tête des femmes trans* racisées. Le lendemain matin, le New York Daily News titre «Descente dans un guêpier homo: les reines des abeilles sortent leurs dards». S’ensuivront plusieurs nuits d’affrontements violents entre forces de l’ordre et gays, lesbiennes, trans*, travailleur-se-s du sexe et drag queens bien décidé-e-s à mettre fin au régime oppressif et autoritaire qu’ils-elles subissent. Souvent considérées comme l’acte de naissance du mouvement LGBT*IQ [lesbiennes, gays, bisexuel-le-s, trans*, intersexes et queer] contemporain, les émeutes de Stonewall ont conduit – un an plus tard – la ville de New-York à autoriser 2000 personnes à défiler pour la Christopher Street Liberation Day Parade, depuis célébrée chaque année par les prides du monde entier. Cet héritage communautaire s’est transmis jusqu’en Suisse.

Platzspitz. Zurich. 24 juin 1978. La première marche des fiertés helvétique voit le jour en commémoration des manifestations de Stonewall. L’événement hautement symbolique interpelle le parlement pour revendiquer l’abandon total du fichage des personnes homosexuelles par la police. Ce n’est que vingt ans plus tard, en 1997, que Genève accueillera la première pride fédérée de Suisse romande. Aujourd’hui implantées au sein du paysage public romand et alémanique, les manifestations LGBT* sont cependant rares en Suisse italienne. A titre d’exemple, la prochaine pride nationale – qui se déroulera pour la première fois dans le canton du Tessin à Lugano en juin 2018 – fait actuellement face à une salve de critiques. Un événement qui serait, selon certain-e-s, «étranger aux traditions» 1>20 minuti, www.tio.ch/ticino/attualita/1137914/-il-carnevale-no-e-il-gay-pride-si- locales mais qui semble nécessaire, compte tenu des discriminations dont les personnes LGBT* sont toujours la cible en Suisse.

Law Clinic 2018-2019

La Law Clinic de l’année académique 2018-2019 sera dédiée aux droits des jeunes migrant-e-s non accompagné-e-s, âgé-e-s de quinze à vingt-cinq ans. Elle est ouverte aux étudiant-e-s de maîtrise; les admissions se font sur dossier. Les inscriptions sont désormais ouvertes, et ce jusqu’au 20 août.

La manifestation s’avère en effet un outil précieux pour les activités des défenseur-e-s des droits humains, et plus particulièrement pour les groupes discriminés. Reconnue par les instruments de protection des droits fondamentaux internationaux et régionaux sous le prisme de la liberté d’opinion et de réunion, la liberté de manifestation est un élément central d’une société démocratique. Néanmoins, lors de ces manifestations pacifiques, les personnes LGBT* et leurs allié-e-s peuvent être confronté-e-s à des réactions d’hostilité émanant de certains membres de la population et parfois même de la part des autorités. Terrain de luttes, d’appropriation et d’expropriation, ces tensions autour du domaine public questionnent sans relâche la frontière entre privé et public, et par conséquent la légitimité des manifestations LGBT*.

Entre visibilité et invisibilité

Dans les luttes LGBT* et féministes, le nu est parfois utilisé comme outil de contestation de l’ordre social. Bien que les prides ne soient pas à proprement parler des lieux où la nudité est systématique, elle est souvent employée dans un but politique ou festif, ayant tendance à bousculer les mœurs et à surprendre les passant-e-s. Comme l’a déjà évoqué la Cour européenne des droits de l’homme, la liberté d’expression inclut le droit d’exprimer ses idées par le biais de son mode vestimentaire. Cependant, en l’absence d’un consensus européen sur la nudité publique, les Etats conservent une large autonomie dans ce domaine 2>Cour européenne des droits de l’homme, «Gough contre Royaume-Uni», N. 149, N. 166 et N. 172. En Suisse, ce sont les règlements communaux qui font foi. A Lausanne, conformément à la réglementation, la police des mœurs peut poursuivre les tenues indécentes, ce qui n’est pas le cas à Genève en l’absence d’une telle base légale. Ainsi, dans les limites de l’exhibitionnisme, qui est réprimé pénalement, manifester seins nus ou en exposant son derrière à l’occasion de la prochaine pride genevoise sera possible sans se voir arrêter par la police.

Au-delà de ces pratiques vestimentaires, la participation à des rassemblements LGBT* peut constituer une source d’inquiétude pour les personnes souhaitant faire usage de leur droit de manifester tout en redoutant de révéler leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Ces deux caractéristiques relèvent en effet de la sphère privée d’un individu et de son droit à l’image 3>Ziegler Andreas/Montini Michel/Ayse Copur Eylem, Droit LGBT, p. 86 N. 26; ATF 118 IV 41, considérant 4a. Ainsi, il est interdit lors d’une pride qu’un-e manifestant-e apparaisse individualisé-e sur une photographie en train d’embrasser une personne du même sexe ou de lui donner la main si il-elle n’y a pas consenti. En revanche, si cette même personne n’est pas le sujet du cliché, mais qu’elle se révèle seulement accessoire, par exemple sur une photographie de foule, alors il n’y aura en principe pas d’atteinte à sa personnalité. La personne peut néanmoins se protéger de ce risque d’outing par le port d’un masque ou d’une cagoule. Une telle pratique est d’ordinaire interdite par la législation genevoise mais il peut être dérogé à la règle en pareille situation du fait de la crainte d’être stigmatisé-e 4>Rhinow René, Grundzüge des Schweizerischen Verfassungsrechts, p. 237 N. 1548. De même, le Conseil d’Etat devrait admettre le port de masques lors d’une manifestation contre le sida – pour préserver l’anonymat des participant-e-s – ou encore lorsque le camouflage est utilisé à des fins expressives ou artistiques.

La matraque arc-en-ciel

La liberté de manifestation implique qu’une protection policière efficace soit assurée aux manifestant-e-s contre des perturbations par des tiers. Cette responsabilité de l’Etat prend tout son sens lorsque des participant-e-s à des rassemblements LGBT* sont victimes de menaces, de harcèlement ou de violences homophobes ou transphobes de la part des spectateur-trice-s ou de contre-manifestant-e-s. La protection des réunions pacifiques s’étend également aux réunions antagonistes, à savoir les contre-manifestations qui se tiendraient en même temps que la réunion principale. La police municipale a donc pour devoir de permettre aux deux manifestations de se dérouler simultanément et sans perturbation. Le rôle de la police est de déterminer à l’avance si celles-ci peuvent raisonnablement coexister dans le même espace, au même horaire et de s’assurer que la seconde manifestation ne puisse pas gêner physiquement la tenue de la première. Par exemple, en 2016, lors de la pride à Fribourg, les prêtres et fidèles de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X avaient été placé-e-s par les autorités dans une rue perpendiculaire au cortège pour ne pas gêner la marche des fiertés tout en permettant aux contre-manifestant-e-s de s’opposer publiquement à ce qu’ils-elles nommèrent un «triste spectacle» 5>FSSPX, http://fsspx.news/fr/news-events/news/suisse-des-prêtres-et-fidèles-de-la-fraternité-saint-pie-x-ont-prié-sur-le-parcours.

Les rassemblements publics ne se déroulent pas toujours si paisiblement. Si une manifestation dégénère, l’intervention de la police peut être justifiée pour rétablir le maintien de l’ordre. Toutefois, les forces de l’ordre ne doivent pas utiliser arbitrairement le recours à la force à l’encontre des participant-e-s LGBT* pacifiques pour disperser ou faire cesser une manifestation – comme cela fut le cas lors de l’édition 2015 de la pride d’Istanbul – en usant de canons à eau, de gaz lacrymogène ou encore des projectiles au gaz de poivre. Si des manifestant-e-s LGBT* sont insulté-e-s, reçoivent des crachats ou sont tabassé-e-s par des contre-manifestant-e-s, les policier-ière-s ne peuvent pas refuser de leur venir en aide sous prétexte qu’ils-elles n’ont pas reçu l’ordre d’intervenir 6> Cour européenne des droits de l’homme, «Identoba et autres contre Géorgie», N. 95 à 100. Au contraire, les forces de l’ordre doivent assurer la sécurité des manifestant-e-s de manière proactive, par exemple en déployant un plus grand nombre de policier-ière-s. L’expérience de pays étrangers comme la Géorgie – où s’est déroulé en 2012 dans la capitale Tbilissi un rassemblement LGBT* violemment perturbé par des contre-manifestant-e-s religieux-ses – rappelle que les mesures policières doivent être tournées contre le(s) perturbateur-trice-(s) pour permettre, quoi qu’il arrive, à la manifestation pacifique de se poursuivre.

Colorer le bitume

Paris. Dès 1989. La division française de l’association de lutte contre le sida Act Up multiplie les actes démonstratifs forts pour permettre la prise en charge des malades du sida quels que soient leur genre, leur sexualité ou leur position sociale. Paris. Dès 2012. La France se déchire autour de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. La Manif pour tous est à l’origine des plus importantes démonstrations d’opposition à cette loi. En marge de ces cortèges, des contre-manifestations et des défilés protestataires pro-mariage homo sont organisés. Ankara. Le Caire. Saint-Pétersbourg. Tunis. 2017 à 2018. Les rassemblements LGBT* sont interdits et accompagnés de répressions policières violentes.

Toutes ces manifestations, aux contextes différents mais aux motivations similaires, représentent la partie émergée du militantisme LGBT*. Occuper la rue est un tremplin pour dénoncer les discriminations, un moyen efficace pour interpeller l’opinion publique, mais aussi une façon d’exister aux yeux de la société. A petits pas ou à grandes enjambées, les personnes discriminées continuent de marcher – et pour les plus chanceuses de véritablement manifester – en quête d’égalité. Synonyme de droits et de libertés, le macadam est pour la communauté LGBT* un espace qui reste à colorer.

Notes[+]

** Etudiant-e-s de la Law Clinic de l’Unige. Plus d’info sur: www.unige.ch/droit/lawclinic et sur notre page facebook.

Cet article est le dernier de la série «Law Clinic» (précédentes parutions: les 3, 9 et 16 avril). Retrouvez toute la série sur www.lecourrier.ch

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